LE YI QUAN, AU CROISEMENT DE L'"INTERNE" ET DE L' "EXTERNE"
Le Yi Quan*, littéralement " boxe de l'intention " ou dans une traduction plus poétique, " La Voie de l'Harmonie du Corps et de l'Esprit " est encore connu en France et dans le monde sous différents noms : Da Sheng Quan, Tai Ki Ken ou encore San Yi Quan. C'est un art martial chinois dit "interne" au même titre que le Baguazhang, le Taïjiquan et le Xing Yi Quan.
Il est d'ailleurs coutume de le présenter comme la synthèse de ces trois arts majeurs. On y retrouve également des techniques de Shaolin, de Qi Qong et même de boxe anglaise. Le Yi Quan renoue avec les sources des arts de combat chinois, et met l'accent sur des principes qui existaient dans la plupart des styles de kung fu mais furent perdus. Ainsi, le Yi Quan se caractérise par le fait qu'il est exempt de formes codifiées (Tao-Lu). Celles-ci sont considérées comme trop " rigides " pour le corps et l'esprit. La pratique des Tao-Lu, à long terme, va même à l'encontre du développement de la spontanéité recherché dans le Yi Quan.Le développement de l'énergie interne, par la pratique de la " posture de l'arbre " (Zhan Zhuang), est l'essence de cet art et sert aussi à se maintenir en bonne santé. Le Yi Quan peut donc être abordé sous deux angles différents.
Zhan Zhuang
La pierre angulaire de la pratique du Yi Quan est le Zhan Zhuang Gong. Ce travail de postures est d'abord destiné à entraîner le corps, dans le but de le renforcer. Celles-ci sont toujours associées à une pensée (image mentale) et à une ou des " directions de mouvement ". Par la concentration sur une image mentale et sur ces petits mouvements que réalise le pratiquant, tout le corps se détend. A son tour, la décontraction de l'ensemble du corps entraîne la libre circulation de l'énergie vitale (Qi) à l'intérieur des méridiens. Tout le corps en bénéficie, et se trouve ainsi tonifié et renforcé.
Ensuite par ce travail mental, le cerveau commande aux faisceaux musculaires de l'ensemble du corps. Ceci entraîne un deuxième effet majeur : la qualité, la quantité et la vitesse d'information transmise par le cerveau aux muscles s'en trouvent augmentées. - Par cet entraînement, dans un premier temps, on sollicite donc des liaisons neuromusculaires " en veille " pour actionner plus de fibres dans une même action. Une ressente étude aux US a permis de mesurer que le simple fait de s'entraîner à " penser " que l'on contracte un muscle, permet d'augmenter sa force (voir " Sciences et vie " de Novembre 2004). Si l'on ajoute à cela un travail de prise de conscience de la position de son corps dans l'espace et de la mise en œuvre de chaînes musculaires particulières, le résultat est une augmentation de la force utilisable en combat. Le but final est d'obtenir une entière participation du corps ainsi " uni " dans le mouvement que ce soit pour une frappe, un blocage ou un déplacement.
Frapper avec son bras ou sa jambe est à la portée de n'importe quel combattant. En revanche, faire la même chose en utilisant la force de l'ensemble du corps est le fruit d'un long travail et d'un entraînement spécifique. - Dans un deuxième temps, le pratiquant réduit l'amplitude de ses " petits mouvements " jusqu'à atteindre une immobilité apparente et accélère la fréquence de ceux-ci. Cela aura pour effet d'augmenter la vitesse du flux d'information du cerveau vers les muscles, autrement dit, diminuer le temps entre le moment où l'on décide de faire un mouvement et celui de sa réalisation (meilleurs temps de réaction, augmentation de la vitesse). La décontraction y contribue également. D'où, une autre traduction poétique de Yi Quan : " L'art de faire instantanément ce que le cœur désire ". On opère ainsi concrètement la liaison tant recherchée dans toutes les pratiques martiales : l'union du corps et de l'esprit.
Force Instinctive et Yi
La pratique du Yi Quan développe donc ce que les Chinois appellent la "force instinctive". Cette force est différente de la force musculaire que chaque personne exprime naturellement. Il s'agit d'une force développée par la participation du corps entier au mouvement. Nous avons tous vécu ou entendu parler de situations de stress intense, de peur, de colère ou de peine qui conduisait à déployer une force hors du commun. De même, il faudra plusieurs personnes pour maîtriser un forcené en pleine crise de folie. La force déployée dans ces différents cas est exceptionnelle et provient d'un état émotionnel particulier qui va engendrer un état mental entraînant la participation de tout le corps dans l'action. C'est cette " force instinctive " refoulé par l'homme du fait de son évolution et des conventions sociales que le pratiquant de Yi Quan va s'efforcer à retrouver au travers de son entraînement, sans avoir besoin d'être dans un état émotionnel particulier. Cette force instinctive créée par la participation de tout le corps et guidée par la pensée, est la fameuse " énergie interne " tant évoquée dans les arts martiaux. Elle est toutefois différente de la force que l'on nomme Ying Qi Gong, celle qui permet par exemple, de se coucher sur des clous et se faire casser du granit sur le ventre, plier des barres de fer avec la gorge ou de casser des galets avec un doigt. La principale différence se situe dans le fait que la force instinctive, elle, est disponible à n'importe quel moment et sans concentration préalable.
Chaque personne, selon ses propres données morphologiques et mentales, développe sa propre force. A l'entraînement, l'accent est donc mis sur l'activité mentale, le Yi, qui guide la force. Tous les exercices s'appuient sur des images mentales. Par exemple: on visualise son propre corps comme si, plongé dans de l'eau ou dans de la boue, on se manière souple et décontracté. Ce mouvement permet à la personne d'imaginer et de créer la sensation de résistance de l'espace environnant sans toutefois générer de contraction dans le corps. Sans ce travail intense et permanent de la pensée, sans concentration, sans intention, la pratique des exercices de Yi Quan n'est qu'une gymnastique vide. On ne peut plus dès lors parler de véritable travail interne. Bien sûr, il n'y a pas que le travail mental. Il y a un travail physique très pointu sur les articulations, les tendons et les muscles. Ce travail développe la résistance, l'équilibre et l'efficacité de l'ensemble du corps, tout en le respectant. C'est cette approche spécifique de l'entraînement qui permet de pratiquer le Yi Quan et de progresser jusqu'à un âge avancé. Si on se base sur l'étude des gestes du corps (coups de pieds, de poings, etc.) et des déplacements, c'est à dire de la partie "visible", on peut parler de travail externe.
Le Yi Quan est donc à la fois interne et externe : " Interne" de par les principes qui sous-tendent la pratique que sont la prise de conscience du corps et la visualisation mentale, "Externe" de par ses manifestations extérieures et sa gestuelle, puisque c'est avant tout un art de combat.
Les bases de l'entraînement
Le Zhan Zhuang Gong est nous l'avons vu, la pierre angulaire du Yi Quan; il permet de fortifier le corps et de développer la concentration. Il existe deux groupes de postures de base et une progression dans la pratique de celles-ci. Un premier groupe de posture vaut aussi bien pour entretenir le corps que pour le renforcer en vue du combat. Dans un deuxième temps, on abordera un deuxième groupe de postures, qui sont dans le prolongement des premières mais davantage dédiées au développement des forces applicables en combat. La principale différence avec le premier groupe de posture est située dans la répartition du poids sur les jambes. Au début la posture est guidée par une image mentale comme d'avoir ses bras enroulés autour d'un arbre, par exemple. Le centre de gravité s'abaisse, des chaînes articulaires fermées se créent, passant par une rétroversion du bassin, la position des genoux, des chevilles, de la colonne vertébrale, des épaules, des coudes et des poignets. Par la suite, une fois que le corps a pris l'habitude de se placer et qu'il a bien enregistré les sensations, l'image mentale disparaît d'elle-même pour laisser place seulement à la sensation (gan jué).
Le Zhan Zhuang doit être impérativement complété par le travail de Shi Li (Essayer la force). Il consiste à réaliser des mouvements lents (mouvement ayant une application martiale : couper, pousser, tirer, déchirer, etc..) dans le calme et la décontraction afin de mettre la force emmagasinée en action. La lenteur du mouvement permet au pratiquant de se corriger et donc, de mieux l'assimiler. On fait fonctionner la mémoire du corps. En se concentrant sur les sensations, cela permet également de prendre conscience de chaque partie du corps. Viennent ensuite les exercices de Zou-lu (Marcher) aussi appelé Mo Ca Bu(Déplacement friction) avec lesquels on apprend à déplacer son centre de gravité tout en exprimant la force au travers de Shi Li. Enfin Fa-Li (Sortir la force), est la dernière catégorie d'exercices et est constitué de mouvements au travers desquels, on étudie l'expression explosive de la force instinctive dans toutes les directions autour de soi. Le mouvement, sur ce type d'exercice pourra être plus rapide une fois maîtrisé. Cette première gamme d'exercice se complète par le travail à deux de Tui shou (Poussée de mains) qui permet de tester son niveau de pratique et mettre en pratique les exercices vus plus haut. On y apprend à contrôler son adversaire, prendre son centre et protéger le sien propre et à développer le sens du contact en particulier au niveau des avant-bras. Le pratiquant est désormais près pour le Jian Wu ou "Shadow boxing". C'est l'utilisation spontanée, dans le vide, de toutes les techniques, ce qui pourrait être assimilé aux " taolus du Yi Quan ". Exception faite que ces enchaînements sont une manifestation spontanée de la force instinctive en déplacement et dans toutes les directions et non une suite de mouvements codifiés. Enfin, le travail au sac de frappe ou avec un partenaire et le combat libre (ou San Shou) complètent ces phases.
Le Tui Shou ou "Poussée de Mains
Pour mieux comprendre et enrichir la pratique du Yi Quan, le Tui Shou est le meilleur travail à deux qui soit. Il permet de développer le champ sensoriel et notamment le touché, et de maîtriser la notion du "Plein" et du "Vide". On apprend à déséquilibrer en poussant /tirant son partenaire avec les mains, les avant-bras, l'épaule ou le corps tout entier et le projeter avec un minimum de contraction musculaire et sans jamais le saisir.
Voici les quelques principes qui régissent la pratique du tui-shou :
Apprendre à écouter l'autre : Grâce à la pratique du Zhan Zhuang, le champ sensoriel du pratiquant et notamment le touché, s'élargit. Par le contact des avant-bras ont s'attache à "écouter", sentir et comprendre le type de force émis par l'adversaire. A travers le contact et l'adhésion, on arrive à "lire" ses intentions. Ne pas s'opposer à la force de l'adversaire : mais, au contraire, l'utiliser et la transformer à son avantage.
Contrôler l'axe de son opposant tout en protégeant le sien : par le placement de son centre de gravité, qui est conditionné par le déplacement. L'alternance de l'enracinement et du déplacement, les transformations incessantes des directions de force ainsi que l'utilisation de feintes afin d'obtenir des réactions attendues sont les différents éléments que le combattant devra maîtriser pour vaincre. Adhérer, Coller, Relier et Suivre : En prenant contact, on "adhère" aux avant-bras du partenaire. Puis on se "colle" sur ses mouvements en les accompagnant pour ne pas rompre le contact. A ce moment, la vigilance est de rigueur afin que le point de contact ne soit pas trop fort. Dans ce cas, la réaction serait ralentie. Si par contre, le contact est trop relâché, on perçoit mal les changements de force de l'autre. C'est ce qu'on appelle "perdre la force". Il est impossible alors d'agir correctement car aucune information ne nous parvient. Le principe suivant consiste à "relier" les techniques entre elles en repassant par une position stable comme un bambou plie sous le vent mais revient toujours à sa place. Enfin, on "suit" les mouvements et déplacements de l'adversaire sans s'y opposer. S'il est dur et raide, on reste souple et mobile; on arrive alors à le guider. On calque également son propre rythme (lent ou rapide) sur celui de son adversaire. Par l'entraînement au Tui Shou, on arrive par simple contact à connaître la force de l'autre, qu'on adapte à la sienne propre. En l'absence de contact " dur " le tui shou présente l'avantage de pouvoir être pratiqué par les enfants sous un aspect ludique ainsi que par les seniors.
Au-delà du combat… un art de vivre
Le Yang Sheng (nourrir le corps) est à la base de l'ensemble des techniques, il se travaille par les exercices de Zhan Zhuang Gong qui permettent de développer la force instinctive. Les pratiquants peuvent travailler plus spécifiquement l'aspect santé de ces techniques, qui servent de base au Yang Sheng: le Zhan Zhuang devient alors Qi Gong. Les techniques seront les mêmes que pour développer sa force en combat mais les images mentales seront plus douces et moins martiales. Ainsi, l'étude du Yi Quan :
car elle :
En résumé : favorise la longévité.
L'étude du Yi Quan intègre également les techniques de base du Wu Shu (assouplissement, musculation naturelle, techniques de combat et self-défense, techniques de poings et de pieds, projections, clefs,..). Les principes du Yi Quan sont appliqués à l'ensemble de ces techniques, principes sans lesquels l'efficacité physique et mentale, notamment à long terme, est illusoire.
On fait aussi référence à la mécanique avec les notions de pesanteur, force centrifuge, frottements, forces d'inertie, résistance de l'air, etc... L'étude des articulations, de leurs différents leviers, des types de contraction musculaire et du système nerveux font également partie de l'apprentissage du Yi Quan. C'est donc un art complet et vaste qui peut toucher de nombreux domaines de la vie ou le " Yi " joue un rôle. En basket, il permet au basketteur de réaliser le panier, en football de marquer les buts et en wushu, de réaliser frappes, blocages et déplacements. Une fois réalisés l'union du corps et de l'esprit, en résumé, le déplacement de tout le corps devient un réflexe conditionné et le geste d'attaque ou de défense ne fait que suivre. Mais les domaines d'application du Yi Quan dépassent le cadre du sport. Des artistes (musiciens, comédiens, calligraphes, .etc..) peuvent utiliser les principes du Yi Quan dans leur travail, notamment pour les qualités de concentration, de décontraction et de placement du corps dans l'espace qu'il apporte.
C'est en revanche un art qui nécessite une grande disponibilité (mentale et temporelle). Mentale, car il faut de la concentration pour arriver à créer cet état de pensée "non-parasitée" ou de vide. Temporelle, car les effets de cette pratique s'observent sur le long terme. Et pour progresser correctement, Zhan Zhuang Gong doit être pratiqué tous les jours. Tout dépend du but que l'on se fixe, mais il est de coutume de considérer que 40mn est la durée minimum de pratique continue par jour pour bien débuter. Par la suite, les sensations et la concentration viennent et l'on peut compenser un temps de pratique plus court par la qualité du Zhan Zhuang.
C'est ainsi que dans le système chinois, il n'y a pas de ceinture en Yi Quan. Le niveau se mesure au temps consacré à la pratique ainsi qu'aux tests de poussée des mains et de combat libre. Le système hiérarchique se base sur le noyau familial, sur le respect du maître, et sur le respect mutuel entre les élèves.